Aimé-Jules Dalou
La Berceuse (Hush a Bye Baby) 1874
Encre brune
Signé et daté : Dalou 1874
Marque de collection : YB
H. 27 ; L. 19 cm
Provenance
Paris, collection Alfred Beurdeley (5e vente, dessins modernes, 1ère partie, Galerie Georges Petit, 2-3-4 juin 1920, n°94).
Ce dessin, signé et daté de 1874, représente La Berceuse (Hush a Bye Baby), sculpture en marbre que Dalou vient d’exécuter pour le duc de Westminster[1]. Elle est exposée au Salon de la Royal Academy en 1876[2].
Durant ses années d’exil anglais (1871-1879), qui correspondent au début de sa carrière, Dalou affectionne les sujets intimes, tirés de la vie quotidienne. Inspiré par le spectacle de sa jeune femme Irma s’occupant de leur fille Georgette, il réalise plusieurs œuvres représentant la maternité : outre Hush a Bye Baby, se trouvent Maternal Joy, première version de la Parisienne allaitant, Paysanne française allaitant ou encore Une Boulonnaise allaitant. Il traite ce sujet dans un style naturaliste et moderne, rompant avec sa représentation chrétienne souvent idéalisée.
La composition de La Berceuse dérive pourtant d’un schéma traditionnel, mais réinterprété avec une certaine liberté. La mère et l’enfant sont inscrits dans une forme circulaire, le corps maternel absorbe celui de l’enfant dans un tout, et l’orientation des deux têtes, penchées dans la même direction, permet aux regards de se lier dans un axe diagonal. La construction de l’œuvre souligne la tendresse qui unit les deux êtres. Quant au titre, Hush a Bye Baby, il fait référence à la berceuse la plus populaire d’Angleterre : ce choix, en creux, dénote certainement le mal du pays dont souffre Dalou[3].
Les croquis de Dalou sont bien connus et présents dans diverses collections publiques. En revanche, ses grandes feuilles abouties sont sensiblement plus rares. Celles des années 1870 ont parfois été publiées dans l’Art : il s’agissait de dessins très poussés, exécutés après l’achèvement d’une sculpture. Dalou était attentif à la diffusion des images de ses œuvres et faisait réaliser des photographies et des gravures de ses dernières créations afin, non seulement de les offrir à d’éventuels clients mais surtout de les publier dans des revues.
Le dessin à l’encre de Hush a Bye Baby correspond en tous points au projet de Dalou de faire connaître son travail. Il réalise ce dessin, soit d’après sa sculpture, soit d’après l’une des photographies de l’œuvre prise à sa demande. Le musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris (Petit Palais) conserve l’une de ces photographies. Acquise auprès de la galerie Malaquais en 2007, cette œuvre (inv. PPPH00549) porte le cachet du photographe « Friedr Bruckmann's Verlag / Munchen, Berlin & London ». Elle est datée, signée et dédicacée par Dalou : « A Mademoiselle Marguerite de Rothschild / J. Dalou/1876/D'après le marbre appartenant à Mr le Duc de Westminster ».
Dalou utilise ici un réseau dense de hachures fines et serrées pour marquer les zones d’ombre, comme le ferait un graveur. Le dessin est certainement abordé comme modèle pour la réalisation d’une gravure parue notamment dans The Illustrated London News du 26 août 1876. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la signature et la date soient placées en exergue.
Alfred Beurdeley (1847-1919) a acquis ce dessin pour son immense collection. Suite à son décès, ses œuvres sont dispersées en 1920 par le biais de plusieurs ventes aux enchères. La Berceuse apparaît sous le numéro 94, dans la 5e vente des dessins modernes.
« En sculpture on se trompe en voulant trop regarder et s’inspirer des peintres coloristes, qui ne dessinaient pas ou dessinaient insuffisamment. La sculpture (un dessin sur toutes les faces) n’a pas grand-chose de commun avec la coloration ; elle a sa coloration propre, qui tient surtout du dessin ; le modelé se produisant par les contours. Mieux vaut donc regarder et s’inspirer d’abord de la nature et ensuite des maîtres comme Raphaël, Ingres, etc. »
Aimé-Jules Dalou[4].
[1] Dont un article paru vers 1898 (?) dans la Gazette des Beaux-Arts fait l’apologie.
[2] Exposée sous le n°1441, collections des ducs de Westminster. Le plâtre ou la terre cuite (Londres, Victoria and Albert Museum, inv. A. 39-1934).a été présenté au Salon de la Royal Academy de 1874, n°1530.
[3] Dalou est autorisé à rentrer en France en mai 1879 : tous les participants à la Commune de Paris sont amnistiés.
[4] Cité dans Copel, Déborah, Recherches sur Jules Dalou (1838-1902), mémoire de DEA d’histoire de l’art sous la direction de M. Bruno Foucart, Université Paris IV, 2003-2004, p. 82.