Auguste Rodin
Le Péché c. 1895-1898 ?
Épreuve en bronze à patine noire nuancée de vert et de bleu, n°2
Fonte au sable Alexis Rudier exécutée en 1930, marquée Alexis RUDIER / Fondeur Paris
Signé : A. Rodin
A l’intérieur de l’œuvre : Cachet Rodin
H. 22,8 ; L. 11,7 ; P. 11,7 cm
Provenance
- Musée Rodin, Paris
- Dr. Kauffmann (acquis du précédent, février 1943)
- Collection privée, France (acquis par réputation dans les années 1950-1960)
- Par descendance
Littérature en rapport
- Antoinette Le Normand-Romain, Rodin et le bronze, Catalogue des œuvres conservées au musée Rodin, RMN / Musée Rodin, 2007, p. 582-583.
Découvrant l’art de Rodin en 1955 lors d’une exposition au Metropolitan Museum de New York, Marilyn Monroe est émue de l’enlacement d’Adam et Eve dans La Main de Dieu : quelques années plus tard, elle acquiert une copie de cette sculpture[1]. Séduite par l’audace érotique et la liberté de l’écriture de Rodin, Marilyn Monroe aurait sans nul doute apprécié Le Péché, autre étreinte fougueuse du maître.
Spécialiste de Rodin et ancienne conservatrice au musée Rodin, Antoinette Le Normand-Romain analyse le groupe du Péché dans sa grande publication de 2007, Rodin et le bronze :
"Appelé La Victoire par Otto Grautoff en 1908, puis souvent intitulé L’Emprise – ce qui a créé une confusion avec le groupe de ce nom[2] – Le Péché a été daté par Georges Grappe de 1888 environ sur la foi d’une lettre d’Emile Verhaeren du 26 octobre 1889 : « Rodin m’a montré un groupe récemment fait, qui est une des choses les plus nerveuses et les plus crispées que j’ai vues. C’est d’un enlacement fou et malgré tout, par je ne sais quelle magie d’art, c’est si chaste[3] ». « Il peut s’agir là soit de la nature de L’Emprise soit de l’apparence du Péché, répondit Grappe. En 1888, toutes deux semblent avoir été divulguées pour la première fois par Rodin, et différents chroniqueurs de l’époque, visitant l’atelier du maître, notamment Victor Emile-Michelet, mentionnent ces groupes exposés à la vue des visiteurs au nombre de plusieurs autres qui ne semblent avoir aucun rapport avec la relation succincte, trop concise, du Poète belge[4]. »
Le journaliste Victor Emile-Michelet décrivit en effet en 1886, parmi les œuvres préférées de Georges Petit, « un couple d’amants (qui) s’étreignent comme désespérés de l’inassouvissement de la passion, avec une fougue qui se concentre et se dépense en vain[5] ». Dans l’ensemble, toutefois, les œuvres exposées par Rodin durant cette période sont plus grandes et moins crûment érotiques : or, mettant « en présence l’élément masculin et l’élément féminin, mais cette fois à l’état de lutte acharnée se mêlant à la passion. (…) La femme s’agrippe (à l’homme), lui passe autour du torse une jambe nerveuse, qui l’enserre comme une liane[6] », ce groupe est en dépit de ses petites dimensions, l’un des plus farouchement passionnés de Rodin. Il semble donc qu’il serait préférable de le repousser aux années 1895-1897, juste avant qu’il ne soit montré à Vienne en 1898 (n°120), à Bruxelles et aux Pays-Bas en 1899 (n°60/59), à Paris en 1900 (n°2) et à Prague en 1902 (n°43/135).
Le personnage féminin a été transformé en satyresse par l’adjonction en bas du dos d’une petite queue qui, dans certains plâtres, n’est qu’une protubérance correspondant peut-être à l’extrémité d’une armature. Malgré ce vernis mythologique, il n’y eut que quelques exemplaires en bronze (dont un chez Carrière qui possédait aussi la grande Iris) et un marbre. Il fut question de celui-ci dès 1899[7], mais il fut exécuté tardivement : il est mentionné pour la première fois en 1911 lorsque Gertrude Whitney en fit l’acquisition[8].
Souvent confondue avec Le Péché, L’Emprise, dite parfois Le Péché n°2, est plus proche de L’Éternelle Idole, qui offre le même personnage masculin sur lequel la femme, une variante du nu féminin dit La Douleur n°2, a « fondu comme sur une proie ». En 1889, après l’exposition Manet-Rodin, le sculpteur en donna un plâtre à Gustave Geffroy : celui-ci gardait près de lui, sur sa table de travail[9], cette œuvre exprimant « la lutte permanente de l’homme et de la femme (…) de façon saisissante ». Un bronze, probablement le seul et d’une qualité un peu décevante, fut fondu en 1889 par Léon Perzinka[10]. Comme dans le plâtre d’édition conservé au musée Rodin[11], le pied droit de la femme y est complètement détaché du support, ce qui ne semble pas toujours être le cas. Ce bronze pourrait être celui dont Rodin fit don à Max Linde en décembre 1901 à la suite de la lettre enthousiaste que lui envoya le collectionneur après avoir vu une reproduction de ce « petit chef d’œuvre[12] ».
Il existe enfin un troisième groupe, lui aussi proche du Péché et également intitulé L’Emprise, montrant deux personnages étroitement enlacés, la femme cambrée en arrière, enserrée dans les bras et les jambes de l’homme comme dans les anneaux d’un serpent[13] : la référence au Laocoon antique se conjugue ici à l’influence du symbolisme pour donner à l’œuvre un caractère tragique[14]."
L’édition en bronze du Péché est relativement bien connue :
- une épreuve a été réalisée par un fondeur indéterminé. Elle appartenait à la collection Eugène Carrière[15] (1849-1906) (Vente Paris, galerie Manzi-Joyant, 2-3 février 1920, n°184).
- au moins six autres épreuves ont été fondues au sable par Alexis Rudier entre 1929 et 1943. Parmi ces bronzes réalisés par Alexis Rudier, se trouvent celui présenté ici, qui porte le n°2 ; celui appartenant aux collections du musée Soumaya de Mexico (nous ne connaissons pas sa numérotation) ; et celui du musée Rodin (Inv. S.645), qui porte le n°0. Ce dernier a été fondu en 1930 « pour exposition au musée »[16].
[1] Les Harding, They Knew Marilyn Monroe: Famous Persons in the Life of the Hollywood Icon, McFarland, 2012.
[2] Exp. 1900, Paris, pavillon de l’Alma, n°1, tandis que Le Péché figure au n°2.
[3] Cf. René Vandevoir à Georges Grappe, s.d. vers 1935, arch. musée Rodin. Vandevoir avait été chargé par Mme Verhaeren de se renseigner sur l’œuvre, cf. Vandevoir, 1937, p. 99. Je remercie M. Fabrice Van de Kerckhove, directeur des archives et du musée de la Littérature à la Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles, des informations qu’il m’a données à ce sujet.
[4] Grappe à Vandevoir, copie de lettre, s.d., arch. musée Rodin.
[5] Michelet, juillet 1886, p. 772.
[6] Alexandre, 1900, n°2.
[7] Cf. liste des œuvres envoyées à Bruxelles, 15 mars 1899, arch. musée Rodin.
[8] Gertrude Whitney ayant donné son accord au prix de 25.000 francs demandés par l’intermédiaire de la duchesse de Choiseul le 16 février, le groupe fut retiré de l’atelier le 20 mars 1911 par Edward Minazzoli. S’agit-il d’un exemplaire différent de celui qui est aujourd’hui au musée Rodin ou du même ?
[9] Cf la photographie de Geoffroy par Dornac, Ph. 10047.
[10] Au prix de 100 francs, facture du 29 juillet 1889, arch. musée Rodin : Oxford, Ashmolean Museum, legs Percy Moore Turner, 1951. Ce bronze a été abondamment photographié par Eugène Druet.
[11] S.3363 (H. 17,8 ; L. 8,9 ; Pr. 6,8 cm ; cat. Grappe, 1944, n°193).
[12] Probablement dans l’atelier d’Albert Mockel in Mirbeau, Merrill, Mauclair et al., 1900, p. 13, où l’œuvre est reproduite sous trois faces. Cf. aussi Marandel, 1987, p. 49, 51-52.
[13] Plâtres : S. 696 (H. 21,5 ; L. 11,8 ; Pr. 10,5 cm ; exp. 1981-1982, Washington, n°40), S. 3737 et S. 3738.
[14] Antoinette Le Normand Romain, 2007, p. 583.
[15] Antoinette Le Normand Romain, 2007, p. 582.
[16] Antoinette Le Normand Romain, 2007, p. 583.