Charles Despiau

Mademoiselle Andrée Basler, dit aussi Dédé 1923

Épreuve en bronze, numérotée 3/6, probablement fondue avant 1929
Patine noire
Signé et numéroté au dos, en bas à droite : C. Despiau 3/6
Cachet du fondeur au dos, en bas à droite « CIRE /C. VALSUANI/PERDUE »
H. 28,5 ; L. 18,5 ; P. 21 cm

  • Cette épreuve est répertoriée sous le numéro 81-B du Catalogue raisonné des sculptures de Charles Despiau établi par E. Lebon.
  • Cette épreuve est répertoriée sous le numéro 2021-9B du Catalogue critique de l’œuvre sculpté de Charles Despiau en cours de préparation par Elisabeth Lebon.

Provenance

  • Collection Frank Crowninshield, acquis de l'artiste ;
  • Vente d'une partie de la collection de Frank Crowninshield, Parke-Bernet Galleries, New-York, 19/20 mai 1948, n°93 ; (…) ;
  • Collection Alain Kotlar, Paris
Ce buste s’inscrit dans la longue lignée des bustes d’enfants et adolescentes, toujours traités avec une grande délicatesse par Despiau qui n’eut pas de descendance lui-même. Andrée est la fille d’un critique d’art d’origine polonaise, Adolphe Basler (1876-1951), qui dirige la galerie de Sèvres à Paris dans les années 1920. Despiau n’avait aucun rapport contractuel avec lui mais les deux hommes s’estimaient suffisamment pour que Basler consacre à Despiau une monographie publiée en 1927, aussitôt traduite en anglais à l’occasion de la première exposition personnelle de Despiau aux Etats-Unis, à la Brummer Gallery de New York, où le buste en bronze de la jeune fille est exposé[1]. Dans Le cafard après la fête ou l’esthétisme d’aujourd’hui paru en 1929, Basler dresse encore un portrait dithyrambique rêvé de Despiau où il l’imagine siégeant à l’Académie. En ce début des années vingt, la carrière de Despiau avait été brutalement interrompue par la guerre et affaiblie par le décès de Rodin dont il perdait l’actif soutien ; elle commençait tout juste à reprendre un peu de vigueur grâce à une large estime de la critique relayant celle de ses pairs.
 
De 1923 à 1924, Despiau prend ses modèles uniquement chez des amis proches et ardents soutiens. On imagine que ce fut surtout par nécessité, faute de commandes, dans une période encore difficile : la femme du peintre Léopold-Lévy, cette jeune Andrée Basler, la fille de Georges Wernert également prénommée Andrée, la fille du critique Elie Faure (Zizou), l’épouse du peintre Othon Friesz, et enfin Léon Deshairs. On ne retrouve qu’à partir de 1925, après son succès remarqué à l’Exposition internationale des arts décoratifs, des portraits commandés par des personnalités qu’il ne fréquente pas. Cette parenthèse lui a permis de se ressourcer sans autre pression que son propre désir, alimenté par une connaissance intime et affectueuse de ses modèles. Il réitèrera volontairement l’expérience, à la fin des années vingt, cette fois pour se consacrer à un défi personnel : la figure.
 
En 1923, la jeune Dédé a 17 ans ; elle a pu commencer à poser l’année précédente car on sait que Despiau demandait d’innombrables séances de pose qui pouvaient s’étendre sur plus d’une année. Le buste est encore empreint des traits arrondis de l’enfance mais Despiau lui donne un accent sombre très particulier. En penchant légèrement la tête vers l’avant, il bloque la lumière sur le front large, un peu bombé de la jeune fille, tandis que le visage est plongé dans un relatif clair-obscur où il vibre grâce aux nombreuses touches qui le constellent de facettes et dépressions, dans un savant arrangement qui ne doit rien au hasard. Le volume général reste parfaitement clair et les profils très purs, ce que vient renforcer le casque des cheveux coupés à la garçonne qui sublime le crâne. Despiau parvient à traduire l’intériorité très sensible de cette grave jeune fille toute absorbée par son être intérieur, qui souffrait parait-il d’un dérèglement psychologique.
 
Frank Crowninshield (1872-1947), le premier acquéreur de cette épreuve, était le rédacteur en chef de la très chic revue new yorkaise Vanity Fair. Il a fait travailler les photographes Edward Steichen, Cecil Beaton, Man Ray, demandé des articles à Aldous Huxley, Thomas Wolfe, Gertrude Stein… A la suite de l’exposition monographique de Despiau chez Brummer en 1927, il se prend de passion pour l’artiste dont il va très vite devenir un fidèle mécène : il acquiert sur le champ une épreuve de chaque modèle disponible, commande l’édition d’œuvres anciennes de façon à se composer la collection la plus complète du sculpteur qui vient enrichir un ensemble déjà riche d’œuvres africaines, impressionnistes, et surtout contemporaines : Picasso, Rouault, Dufy, Modigliani, Derain, matisse, Chagall…
 
Par l’identité du modèle comme par celle de son premier acquéreur, cette épreuve du buste d’Andrée Basler démontre à quel point Despiau appartient déjà pleinement au début des années vingt à tout ce qui compte dans l’art moderne de son temps.
 
L’édition est restreinte, numérotée sur six. Une première épreuve est fondue dès 1923, reproduite dans un article de Léon Deshairs paru dans Art et décoration[2]. Il se peut que l’épreuve exposée à New York en 1927 soit celle-ci, entrée dans la collection de Frank Crowninshield avant 1929 puisque cette provenance est précisée lors de l’exposition de Twenty-nine scultures by Charles Despiau à la Fifty-Sixth Gallery de New-York en 1930. Une autre épreuve est conservée au Baltimore Museum of Art, issue de la Cone Collection, une troisième est au Göteborg Konstmuseum (numérotée 2/6). Les trois autres épreuves n’ont pas encore pu être localisées[3].
 
Elisabeth Lebon, janvier 2021

[1] Adolphe Basler, Despiau, Les Albums d’Art Druet, Librairie de France, Paris, 1927 et édition E. Weyhe, New York, 1927. Basler a publié des ouvrages sur Henri Matisse, le Douanier Rousseau, Renoir… ; il était proche de Picasso, Modigliani, Kisling, Derain…
[2] Léon Deshairs, « Despiau », Art et décoration, avril 1923.
[3] On trouve sur le marché des épreuves anormalement numérotées sur huit qui nous semblent très suspectes quel que soit le certificat qui les accompagne.