Manuel Martinez Hugué dit Manolo

Léda et le Cygne 1912

Bas-relief
Épreuve en bronze, n°I
Fonte au sable, probablement Florentin Godard, entre 1912 et 1929
Monogramme et numérotation (au revers) : IKH
Étiquette (au dos) : GALERIE LOUISE LEIRIS / 47 rue de Monceau / Manolo / Léda / 20 épreuves / 1912 / 17 x 17 / Photo N°4015
17,3 x 17,4 cm

Provenance :

  • Paris, galerie Louise Leiris
  • Pully, collection Sam Josefowitz
  • Paris, vente, Christie’s, 21 octobre 2023, lot 490 (collection Sam Josefowitz)

Bibliographie :

  • 1922 ARTICLE : Lafargue, Marc, « Manolo », L’Amour de l’Art, septembre 1922, repr. (un exemplaire en bronze)
  • 1929 EXPOSITION : Manolo, Paris, Galerie Simon, Berlin et Düsseldorf, galerie Alfred Flechtheim, Francfort, galerie Flechtheim & Kahnweiler, 1929, n°7.
  • 1928 PLA : Pla, Josep, Vida de Manolo contada per ell mateix, Sabadell, 1928.
  • 1942 BENET: Benet, Rafael, El Escultor Manolo Hugué, coll. Miguel Angel, Libreria Editorial Argos, Barcelona, 1942.
  • 1961 EXPOSITION: Manuel, Martinez Hugué dit MANOLO - Sculptures, gouaches, dessins, Paris, galerie Louise Leiris, 17 mai – 17 juin 1961, n°22 repr. (l’une des 20 épreuves Émile Godard).
  • 1974 BLANCH: Blanch, Montserrat, Manolo, sculptures, peintures, dessins, Cercle d’art, 1974, n°421, p.242 repr.
  • 1995 EXPOSITION : Manolo Hugué, 1872-1945, Mont-de-Marsan, musée Despiau-Wlérick, 28 juin-4 septembre 1995, Pontoise, musée Tavet-Delacour, 16 septembre-26 novembre 1995.

Expositions :

  • 1929 PARIS, BERLIN, DÜSSELDORF, FRANCFORT : Manolo, Paris, Galerie Simon, Berlin et Düsseldorf, galerie Alfred Flechtheim, Francfort, galerie Flechtheim & Kahnweiler, 1929, n°7 (bronze, certainement notre épreuve).
  • 1961 PARIS : Manuel, Martinez Hugué dit MANOLO - Sculptures, gouaches, dessins, Paris, galerie Louise Leiris, 17 mai – 17 juin 1961 (une épreuve Émile Godard).
Manolo crée le relief de Léda et le Cygne à l’aurore de la Grande Guerre, en 1912. Il est alors installé à Céret, petite ville de la Catalogne française dans laquelle il réside à plusieurs reprises, entre 1910 et 1914, puis entre 1919 et 1927[1]. Autour de l’année 1912, Picasso, Braque, Gris, y séjournent et y approfondissent leurs recherches cubistes. Non loin de là, à Banyuls, vit le sculpteur Maillol. C’est dans ce creuset d’influences artistiques que Manolo trouve la quiétude pour laisser s’épanouir son art. En 1912, il bénéficie de la relative aisance matérielle que lui procure le contrat qu’il vient de signer avec le grand marchand parisien Daniel-Henry Kahnweiler[2]. Leur accord stipule que toute la production de Manolo revient au marchand, moyennant une mensualité. Jusqu’en 1920, Manolo reste le seul sculpteur défendu par Kahnweiler, année où Henri Laurens entre dans son cercle très choisi.
 
Manolo excelle dans les compositions serrées ; les formes s’inscrivent toujours parfaitement dans leur cadre, que ce soit la feuille pour les dessins, le bloc pour les sculptures ou la plaque pour les reliefs. Les reliefs qu’il créent tout au long de sa carrière apparaissent tels des traits d’union entre son œuvre dessiné et son œuvre sculpté. Ici, le corps tout en volume de Léda est recroquevillé dans le cadre carré et les formes à la fois rondes et géométriquement définies s’imbriquent les unes dans les autres. Le corps est robuste, les membres sont enchevêtrés, les formes, pleines. C’est un langage plastique que l’on retrouve dans de nombreuses créations de Manolo à partir de cette période : un dessin de la même année conservé au musée national d’art moderne à Paris décrit une pose proche de celle du relief (Nu, inv. AM 1984-597) ; en 1914, le très beau modèle de Femme accroupie conservé à La Piscine – musée d’art et d’industrie André Diligent à Roubaix poursuit cette écriture stylisée et archaïsante.
 
Léda et le cygne est un thème de la mythologie grecque. Léda, épouse de Tyndare, le roi déchu de Sparte, est séduite par Zeus qui prend la forme d’un cygne. Héra, la femme de Zeus se rend compte de l’infidélité et place deux œufs dans le corps de Léda. De l’un naîtront Hélène et Pollux, enfants de Zeus, et de l’autre, Clytemnestre et Castor, enfants de Tyndare. Ce moment érotique de l’accouplement de Léda et du cygne a souvent été représenté à travers l’histoire de l’art. Manolo s’en empare à plusieurs reprises dans d’autres reliefs :
  • une terre-cuite de 1919 où l’entrelacs des formes atteint un paroxysme (Blanch n°439)
  • un relief quasi similaire à celui que nous étudions daté de 1923 mais dans lequel le visage de Léda est découvert (Blanch n°462)
  • un développement de ce dernier relief avec visage découvert en 1925 (Blanch n°107)
  • un relief en terre-cuite ovale simplifié (Blanch n°481)
  • un relief de 1941 qui reprend les versions de 1923 et 1925 (Blanch n°559)
Manolo travaille également cette iconographie dans des dessins et des bijoux dont trois pendentifs en bronze ou argent des années 30 (Blanch n°287 à 289).
 
Notre épreuve de Léda et le Cygne porte au revers une étiquette de la galerie Louise Leiris. Il s’agit de la troisième galerie que dirige D-H Kahnweiler. Après la Première Guerre Mondiale, le 1er septembre 1920, le marchand, dont les biens ont été mis sous séquestre, s’associe avec André Simon pour ouvrir sa seconde galerie au 29 bis rue d’Astorg - ce sera la Galerie Simon, de 1920 à 1941. Lors de 3 ventes aux enchères en 1921, 1922 et 1923 ses biens sont dispersés. Fort heureusement, il parvient à racheter l’ensemble des sculptures de Manolo[3]. En 1941, l’activité du marchand est à nouveau mise en péril puisque la galerie est soumise à une procédure « d’aryanisation ». Louise Leiris, sa belle-fille rachète le fonds de commerce. La galerie est sauvée et continue son activité jusqu’en 1988 (mort de Louise Leiris). Les éditions des sculptures de Manolo se poursuivent telles qu’elles ont été entérinées à l’époque de la Galerie Simon.
 
Kahnweiler édite des modèles dont il consigne scrupuleusement les épreuves en indiquant leur numéro et justification sur l’étiquette discrètement collée à l’intérieur de l’œuvre.
Cette politique d’édition a permis au marchand de diffuser et de faire connaître l’œuvre de son protégé. Il organise une exposition monographique de Manolo à la galerie Simon en 1929, dans laquelle figure notre relief de Léda[4]. L’exposition est ensuite montrée dans les galeries partenaires en Allemagne (Galerie Alfred Flechtheim à Berlin et Düsseldorf ; Galerie Flechtheim & Kahnweiler à Francfort).
 
Nous voyons que la fonte ici étudiée est antérieure à l’existence de la galerie Louise Leiris. En effet, elle porte au revers l’inscription en relief “KHI” telle qu’elle apparait sur les premiers bronzes édités par Kahnweiler. Il s’agit d’une fonte réalisée entre 1912 et 1929 par Florentin Godard, le fondeur avec lequel le marchand travaille à cette période.
 
Comme toutes les épreuves réalisées sous la direction de Kahnweiler au moment où il commence les éditions limitées, cette épreuve de Léda et le Cygne n’est pas signée par l’artiste, et porte les initiales du marchand. Les récents travaux de l’historienne de l’art Élisabeth Lebon ont établi que ces épreuves numérotées en chiffres romains sont le fruit de la collaboration entre le marchand Kahnweiler et le fondeur Florentin Godard : « Nous savons depuis la découverte des archives du fondeur Florentin Godard qu’il fut le fondeur de Kahnweiler à partir de novembre 1911. ( …) De façon semble-t-il non systématique, et récemment découverte, Kahnweiler demandait à Florentin Godard de marquer les épreuves qu’il lui commandait d’inscriptions invisibles au spectateur (soit au revers des reliefs, soit à l’intérieur des rondes bosses) : une numérotation, toujours en chiffres romains, ainsi parfois que ses initiales HK, qui apparaissent en relief. (…) la dernière commande de Kahnweiler à Florentin Godard date d’avril 1929. »[5]
 
Il s’agit ici de l’épreuve numérotée « I » sur 20 épreuves prévues, comme l’indique l’étiquette au revers. La Galerie Louise Leiris prévoyait de continuer l’édition. Mais seuls deux autres exemplaires sont connus, en l’état actuel de nos connaissances :
  • Bern, Kunstmuseum, collection Hermann et Margrit Rupf, Inv P015 (Cet exemplaire porte au dos l’inscription en relief KH IIII, un reste d’étiquette Kahnweiler et une étiquette de la collection Hermann et Margrit Rupf.)
  • Collection Gustau Camps, Barcelone[6]
Il est ainsi très peu probable que l’édition ait été poursuivie jusqu’à 20 exemplaires. Cette épreuve, fondue du vivant de l’artiste, par son illustre marchand, est donc d’une très grande rareté. Elle provient de la prestigieuse collection de Sam Josefowitz (1922 – 2015)[7].

[1] Pendant la guerre, Manolo s’installe à Barcelone.
[2] Entre 1912 et 1933, Manolo est sous contrat avec Kahnweiler, soit entre ses quarante et ses soixante-et-un ans.
[3] 13-14 juin 1921 : 1e vente des biens séquestrés par les Allemands « Collection Henry Kahnweiler, tableaux, sculptures, et céramiques modernes » Part 1 : https://archive.org/details/CollectionHenryKahnweiller13To14June1921/page/n25
[4] 1929 PARIS, BERLIN, DÜSSELDORF, FRANCFORT n°7.
[5] Extrait de l’article d’Élisabeth Lebon « Laurens et le bronze », publié dans le catalogue de l’exposition Henri Laurens au musée Gerhard-Marcks-Haus de Brême du 30 septembre 2018 au 13 janvier 2019.
[6] Exemplaire reproduit in 1974 BLANCH, n°421.
[7] Collectionneur d’origine lituanienne, installé en Suisse à partir de 1930, il fait fortune aux Etats-Unis dans l’industrie du vinyle.